Mère de secrets, meuble aux merveilles, la grande armoire, dans les intérieurs créoles, renferme l’une des plus intéressantes histoires de mobilier, joyau d’adaptation et d’évolution. Témoin de l’ingéniosité des artisans d’époque et d’un sens pratique certain de cette société nouvelle, elle compte dans ses rangs parmi les modèles les plus anciens et riches du répertoire mobilier martiniquais.
Un coffre brut à l’armoire fine
L’armoire donc, assise sur des ans de services et de présence, s’épanouit bien volontiers dans les intérieurs martiniquais. La vie pratique des Antilles la voit débuter sous les traits des grands coffres destinés au rangement dans les premières habitations du XVIIe, alors même que l’armoire, dans sa forme originelle, reste plutôt réservée aux sacristies du haut moyen-âge. Sous nos latitudes donc, c’est d’abord dans une approche utilitaire que des coffres massifs se déploient, d’abord en commodes plus pratiques pour le rangement lorsqu’ils se gonflent de tiroirs et de pieds travaillés, puis bientôt en « buffets » dès lors que la trappe supérieure s’efface et qu’apparaissent les plateaux d’étagères. S’affairent encore portes, renforts et moulures, pour aboutir un meuble de vie et de famille, encore indistinctement voué au rangement dans l’habitation. Lorsqu’il se renforce de crédence, pour justement accueillir porcelaines et médailles, le meuble s’affirme, au fil des ans, comme le buffet-vaisselier de la salle à manger. Sa version armoire se flanque de portes massives et se spécialise dans la conservation du linge fin de maison. On l’expose toujours dans les salles à vivre et à recevoir, plus qu’elle devient, à mesure des expertises et des moyens, une véritable injonction au beau et un symbole de bon goût et de richesse pour l’heureux propriétaire. Fin XIXe, on la réintègre à la chambre à coucher, dans son rôle de garde-robe et linge, où elle s’enrichit même de miroirs ou de portes multiples, pour en faciliter l’usage.
Un modèle de techniques et de savoir-faire exposés
L’amusant aussi, c’est de poursuivre, à travers les âges et les modèles, les jeux de la mode, les artisans au nom poursuivi et les techniques qui diffusent. Il faut dire que cette armoire créole s’est habillée des époques et des styles : au mitan du XVIII siècle, l’influence Louis XV insiste sur les moulures et les pieds opposés : les bases arrières sont moins travaillées, taillées droites et rectangulaires, tandis que les griffes avant se cambrent et s’achèvent en petites volutes escargot. Plus tard, les corniches qui surmontent l’armoire en Empire, Directoire ou Restauration sont souvent plus simples et clairement dessinées, alors à l’opposé de ces modes chatoyantes des temps précédents, où l’ébéniste préfère s’épanouir en cannelures et dessins tournées. Les bois en bi-tons auront-eux, le privilège de ce XIXe, et envahissent les ateliers : les portes notamment, exposent le veinage de leurs essences précieuses, sur des montants aux tonalités volontairement décalées. Tous les éléments se travaillent d’ailleurs dans leurs gammes de styles et d’époques, des gonds de portes, en glands ajourés en Empire aux systèmes de fermeture des meubles, où les loquets sont ciselés dans le laiton, l’argent ou le bronze. C’est certain, vous n’ouvrirez plus vraiment ces gardiennes de temps de la même façon !
Texte : © Corinne Daunar