Texte : Olivier Gripacus
Illustration : LifeisDzign
Bien le bonjour Mesdames, donnez vous la peine, nous irons au premier étage. Quelle belle bâtisse ! Comment les appelle-t-on en Guadeloupe ? Il me semble avoir entendu le mot kaz kréyòl, c’est cela très chère. Comme vous l’avez remarqué il y a foule sous ma grande robe de bois. Heureusement que tous ces petits pieds chaussés d’escarpins ne laissent aucune traces sur mon jolie plancher. Malgré ce tapage qui raisonne jusqu’à mon chapeau de tôle, je vais tout de même me présenter. Je suis Man Devall de kazkamo, je porte fièrement le nom de mon propriétaire. C’est un riche exploitant agricole. Son or vert, comme il le dit si bien, est dans la canne à sucre et la banane. Il n’y a qu’à voir, regardez moi. Ne suis-je pas belle avec ma grande balustrade ? Vous serez d’avis pour dire que mes fers forgés sont de toute beauté n’est-ce pas? J’ai de la chance je sais. Et vous n’avez rien n’encore vu. Elles ont vraiment la langue bien pendue ces pipelettes, leurs jacasseries m’empêchent de m’exprimer. Comme tous les mercredi après-midi, Mme Devall reçoit ses comparses pour prendre le thé et les petits biscuits. C’est le jour des bavardages et des potins. Après avoir fait une pluie d’éloge sur mon ossature en bois précieux et mes grandes portes fenêtres, elles se mettent à critiquer. Elles critiquent les autres bâtisses, les kaz kréyòl qu’elles surnomment « les dents creuses » de Pointe-à-Pitre. Elles les fustigent sans arrêt en disant que ces cases sont laides et décaties, qu’elles ne voudraient jamais y vivre. Je déteste les entendre avoir de tels propos, elles oublient peut-être que moi aussi je suis une kaz kréyòl ! Pourquoi sont elles aussi acerbes et condescendantes envers mes consoeurs ? Moi, j’ai juste eu de la chance, mais je suis fière de faire partie de cette grande famille. Alors mesdames un peu de respect s’il vous plaît ! Regardez moi bien, je suis Man Devall, et de la pointe de mon chapeau de tôles jusqu’à ma grande robe de bois, je suis profondément kaz kréyòl.