Nous voici en pleins préparatifs des fêtes de fin d’année, toujours synonymes d’effervescence et pour lesquelles la plupart d’entre nous attache une importance particulière. Les chanté Nwel s’enchaînent depuis fin novembre, les boutiques se parent de leurs plus belles vitrines et brillent de mille feux. Il fait bon s’imprégner de la féérie de ces instants privilégiés qui seront l’occasion de se retrouver en familles ou entre amis.
Pour cette édition spéciale, nous avons choisi de vous replonger, voire de vous plonger dans une atmosphère que les moins de 50 ans n’ont pas pu connaître, grâce au témoignage d’une famille issue des Abymes.
La famille MOUEZA, par l’intermédiaire de Rose-Berthe, fille ainée d’une fratrie de 6 enfants, nous a ouvert les portes de ses souvenirs et des albums photos de Irma et Maurice, ses parents.
Moments privilégiés à découvrir pour les plus jeunes ou à redécouvrir pour les nostalgiques des Noëls passés…
Quand j’étais enfant, la fête de la Nativité s’inscrivait comme la plus belle des fêtes dans la pure tradition du catholicisme. Les préparatifs débutaient avec les premiers Chanté Nwel dès le premier dimanche de l’Avent et atteignaient leur paroxysme à la veillée de Noël, le 24 décembre. Ces moments s’inscrivent, pour ma part, au rang de mes meilleurs souvenirs d’enfance.
Ma mère, que la famille, les amis, les voisins surnommaient « Amie Irma », accueillait chaque soir les enfants du voisinage, après les devoirs, pour entonner les Chanté Noël. Nous disposions de la seule maison avec véranda du quartier et chaque année, notre foyer se transformait en quartier général des festivités. La rue résonnait alors de cantiques pendant près d’une heure car les enfants de tous âges s’y donnaient rendez-vous avec bonheur et gourmandise.
Nos Chanté Nwel étaient encore plus prisés par les grands et les petits chaque samedi et dimanche qui précédaient le réveillon.
Début décembre, l’école du bourg, où nous allions tous, installait un grand filao qui faisait office d’arbre de Noël. Le dernier jour de classe avant les vacances donnait lieu à une fête pendant laquelle les plus petits se voyaient offrir un cadeau et un chocolat car les moyens financiers étaient très limités à l’époque et beaucoup de parents ne pouvaient pas offrir de cadeaux à leurs enfants.
Nous ne disposions pas de sapins dans nos foyers à cette époque. Nous accrochions des ballons et des décorations, des guirlandes en papier que nous fabriquions nous-mêmes pour décorer la maison. Tous ces préparatifs faisaient partie de la magie de Noël au sens le plus noble du terme.
Le premier arbre de Noël à être installé dans notre maison est un petit sapin artificiel que j’avais rapporté d’un séjour en métropole. Maman le conservait très soigneusement et le ressortait chaque année.
Pour certaines familles, le cochon, élément essentiel et héros bien malgré lui du repas de Noël, était choisi quasiment une année à l’avance. Il était tué seulement le 23 décembre car les réfrigérateurs n’étant pas encore répandus, nous ne pouvions pas conserver la viande. Nous n’avions pas non plus de supermarchés à notre disposition comme de nos jours.
Le moment du « tué Cochon » était une première occasion pour les membres de la famille, les amis, les voisins de se retrouver pour la préparation des mets du repas traditionnel de Noël dont le boudin, bien sur.
Pour les familles qui n’avaient pas de cochon, il se trouvait toujours un voisin qui gardait une bête pour l’occasion et qui venait proposer des morceaux. Il suffisait alors de s’entendre avec lui et de réserver les quantités souhaitées afin de perpétuer la tradition culinaire.
Dès le matin du 24 décembre, une bonne odeur de cuisine se répandait dans toute la maison car maman se levait très tôt pour préparer le repas. Elle aimait procéder ainsi afin de se rendre ensuite disponible pour la famille et les voisins qui venaient nous rejoindre pour la veillée.
Le repas de la veillée était constitué des mêmes mets chaque année, à savoir l’indispensable boudin que nous apprécions tant, du ragoût de porc accompagné de pois d’Angole et d’ignames. Le jambon qui nous est proposé dans tous les commerces comme l’incontournable plat de Noël antillais ne faisait pas partie de notre menu de fêtes.
LA VEILLÉE DU 24 DÉCEMBRE
A partir de 17 heures, les enfants, revêtus de leurs plus beaux habits, arrivaient pour le grand Chanté Nwel. Les parents qui le souhaitaient les accompagnaient munis de leur livret de chant. Maman les accueillait les bras grands ouverts comme à son habitude car elle adorait chanter et danser.
Nous n’organisions pas de repas à proprement dit installés autour d’une table. Chacun se voyait proposer du boudin, des morceaux de porc roussi et un verre de punch au sirop de groseille pays ou de schrubb en entonnant les cantiques, épaule contre épaule. Il s’agissait d’un moment privilégié où vous n’aviez nullement besoin d’être invité pour venir participer aux festivités.
Toutes les maisons de la rue étaient ainsi visitées à tour de rôle, chacun recevant avec plaisir ses voisins et ses amis en partageant son repas. Maman, quant à elle, restait à la maison, pour veiller au bon accueil de chaque nouvel arrivant au fil de la soirée.
Vers 21 heures, les plus petits partaient se coucher. Les enfants plus âgés étaient autorisés à rester en compagnie des adultes et se préparaient pour la messe de minuit. A cette époque, la messe de minuit portait bien son nom puisqu’elle avait réellement lieu à minuit et non pas à 20 heures comme de nos jours. Nous partions tous ensemble à la chapelle du Calvaire dans le bourg des Abymes, où était installée une crèche pour l’occasion. Nous rentrions deux heures plus tard, une fois la messe finie et allions nous coucher. Maman, quant à elle, s’affairait une nouvelle fois à la préparation des mets que nous allions déguster le lendemain midi. Certaines familles reprenaient les Chanté Nwel après la messe.
LE 25 DÉCEMBRE
Dans les foyers les plus aisés, les petits avaient droit à un cadeau le matin de Noël. Les jouets traditionnels en bois constituaient la majorité de ces présents. C’est d’ailleurs une excellente nouvelle que ce type de jouets soit remis au goût du jour.
Mais dans beaucoup de familles, aucun cadeau n’était distribué. Des membres de notre famille, installés en métropole, nous faisaient parvenir un colis contenant des jouets et du chocolat. Nous étions déjà privilégiés car nos deux parents travaillaient et nous ne manquions de rien. Nous avions pour habitude de partager ce moment avec nos petits voisins qui ne recevaient aucun cadeau.
Les membres de la famille résidant sur la Basse Terre étaient invités à nous rejoindre pour le déjeuner du 25 décembre qui était constitué des mêmes mets que pour la veillée du 24. Bien qu’il s’agisse d’un repas sur invitation, il était très fréquent de recevoir des personnes imprévues en début de repas ou bien plus tard dans l’après-midi. Maman préparait toujours le repas en quantité de façon à pouvoir proposer une assiette à toute personne se présentant. Notre table ne faisait pas l’objet de décoration, elle était dressée comme à l’ordinaire.
Nous débutions ce repas par un verre de punch au sirop de groseille ou bien par du Vermouth pour les personnes qui ne buvaient pas de rhum. Le Vermouth étant chez nous, la boisson plutôt destinée à fêter le jour de l’An.
Nous achevions cette réunion de famille par une coupe de mousseux qui constituait notre petit luxe et ensuite vers 18 heures, chacun reprenait le chemin de sa maison. Plus tard, le champagne a fait son apparition dans notre famille pour le plus grand bonheur de maman qui adorait cette boisson et qui lui faisait honneur à chaque grande occasion.
CHANTÉ NOÊL
J’ai quitté la Guadeloupe en 1964 pour m’installer en métropole. Au fil des années, j’ai été marquée par le changement profond et la perte de certaines des ces traditions qui me tenaient à cœur. Le plus frappant étant de constater que désormais chacun passe cette veillée de Noël confiné chez soi en ayant pris soin de sélectionner ses invités, bien loin de ces instants de partage dont j’avais gardés le souvenir. Il faut se rendre à l’évidence que le Noël d’aujourd’hui est devenu une fête plus commerciale qu’autrefois.
Les Chanté Nwel qui ont fait leur réapparition depuis les années 80 constituent un retour vers nos traditions et une belle défense de notre patrimoine culturel quoi qu’ils prennent quelquefois eux-aussi un aspect un peu trop mercantile à mon goût. J’apprécie tout de même d’y participer chaque année et de reprendre ces fameux cantiques qui ont rythmé mes années d’enfance.
Texte : Christine Morel
Photos : © SIMAX COMMUNICATION, MOUEZA, FOTOLIA