La devanture sobre de cette bijouterie familiale est une institution bien connue et hors du temps de cette petite rue du centre de Fort-de-France. Pas étonnant donc qu’au travers la vitrine élégante puisse se soupçonner une effervescence inédite.
La fête des Mères arrive à grandes enjambées et Marcel, joaillier et maitre des lieux s’active pour rappeler à chacun l’évolution du bijou créole.
Car sous ces lunettes rondes cerclées se cache un passionné d’histoire, capable de plonger son client curieux dans près de 4 siècles d’orfèvrerie antillaise.
LA VARIÉTÉ ET LES PARURES
Intense manifestation de cette culture caribéenne croisée et métissée, les bijoux créoles se créent et évoluent à la confluence de trois courants : des pratiques amérindiennes, des résurgences africaines , et des techniques se standardisant sous l’influence des Européens avec la formation en métropole de mulâtres et esclaves joaillers. Les fils, plaques et torsades d’or des maitres africains et arabes s’installent aux Antilles, complétées par la précision des fermoirs et gravures d’Europe.
Le métal précieux tient ici un rôle essentiel dans la fabrication de ces objets, déjà perçu comme marqueur de richesse par excellence et constituant un investissement privilégié. Ce qui l’amusait le plus, lorsqu’il était jeune et devait s’occuper dans l’arrière-boutique, c’était de tenter de retrouver l’origine des parures. Et pour cause, la majeure partie de la joaillerie antillaise s’appuie sur le quotidien des îles : le bestiaire et la flore en sont les sources inépuisables, alimentant les anneaux et pendentifs d’oreilles, comme autant d’appropriations d’un environnement luxuriant et exubérant. Les fruits et fleurs sont à l’honneur : la pomme-cannelle, bombée, est composée d’une incrustation de corolles d’or cerclée et surmontée d’un grain, là où le dahlia, sur la même base, est plat pour s’approcher au plus près la plante et peut insérerer un grain dans chaque pétale. Du côté animal, la chenille est une torsade de trois tresses d’or montée en boucle d’oreille sur le modèle des plus classiques ; le nid de guêpe lui propose des pendentifs et boucles réalisées en d’alcôves à son image. Le point central de la parure antillaise reste le collier, porté en sautoir enroulé plusieurs fois : le forçat lie des mailles emboitées, l’une plate et l’autre striée, le collier-choux se matérialise en demi-sphères soudées entre elles, rappelant notamment le collier de perles d’or. Les bagues et bracelets, s’ils existent, se font plus rares, puisque peu adaptés au travail de la terre.
FONCTION SOCIALE DU BIJOU
Sur l’habitation, il permet pendant longtemps de distinguer les favorites ou les nourrices et la puissance de l’exploitation : les premières reçoivent les premiers bracelets et forçats en or, là où les secondes sont remerciées aux anniversaires et naissances de leur dévouement par les enfants dont elles ont la charge. Pour les esclaves de champ, et Marcel s’en rendra compte au fil de ses recherches, c’est aussi et surtout le moyen de thésauriser pour faire face à l’aléa, us qui s’ancrera dans la culture antillaise.
Le Tété négresse devient le manifeste de la femme noire, les grains d’or et collier-choux, dont elles accumulent les perles à mesure, le symbole de la construction d’une certaine élévation sociale, item par item. Adoptées plus tard par les hommes, les chaines forçat sont l’une des premières créations emblématiques de l’artisanat créole : au début du XVIII, elles sont réclamées par les européennes puis offertes aux matadors et favorites.
Et lorsqu’au terme d’une après-midi de récits, de conseils et de découvertes, il abaisse le lourd vantail de bois protégeant son atelier, Marcel ne manque jamais une dernière paire de regards vers sa rare merveille, un vieux collier marchande de sirop, formé de plaques d’or soudées, comme autant de jalons de l’histoire qu’il renferme et attend de dévoiler, aujourd’hui dans une orfèvrerie créole modernisée et enrichie.
Texte & Photos : Corinne Daunar