François Moll est une âme vagabonde et libre. Constamment porté par le bouillonnement de ses pensées et de son rapport au monde, il transporte, dans toutes sortes de véhicules et de styles, son approche fantasque du fourmillement du monde. Heureux en peinture, épanoui à l’encre, il est constamment, de la pointe du pinceau ou de la plume, en quête.
Pas plus haut que cela, il émerge dans le Maroc encore français, partagé entre les vastes plaines de Casablanca, d’Essaouira et de Marrakech. L’enfance y est douce, dorée par le désert, et décide d’ériger François en un artiste fantasque et définitivement hors-codes : l’épiphanie, il s’en souvient. A l’orée du son treizième an, il s’affaire sur le coffret de peinture de son père moins inspiré que lui et se découvre un style singulier, un trait unique, mais sensible et fondateur. C’est décidé, il vivra par ses pinceaux.
L’enfant-monde
Toute sa jeunesse, l’art le dévore : et il trouve à le combler autant qu’il le gonfle, partout où il passe. Bientôt, le voici à Paris, où la cellule familiale s’installe pour une nouvelle étape. Lui se dissipe, et poursuit son entreprise créative impérieuse dans les rues, ateliers et cafés de la capitale. Parfois le cadre tente de se construire autour de lui, de cet art qui doit devenir son lendemain, mais puisqu’il s’agit d’abord d’exprimer le débordement de son âme, il ne trouve pas son contentent dans le carcan dogmatique des Beaux-Arts : manifestement, ce n’est que dans la mise en danger, le questionnement et la rigueur de la recherche qui le nourrissent encore. A la voie tracée, il préfère donc l’excitation de l’inconnu à rendre intelligible, l’aventure du coeur à goûter de l’instinct à rendre maître.
Le cardinal du dessin à l’encre
Bientôt, le voici projeté dans une existence extra-insulaire : perdu entre l’Atlantique et les rives d’une Martinique désormais foyer, il vit sur un îlet depuis force d’années, où il détaille son art et affine son ressenti. Il range à mesure les pinceaux et gros tubes colorés, les portraits psychologiques et la morsure psyché du tableau pour glisser imperceptiblement vers le dessin, méticuleux et vertigineux ; son unique pigment devient l’ébène intense de l’encre de chine.
Son trait d’encre dorénavant, est marqué du sceau de l’équilibre et de la perspective : il est précis, active le détail et alimente l’oeil gourmand. Chaque gravure porte une rigueur scientifique, semble empruntée d’une encyclopédie globale et poétique dans laquelle François Moll verse un paradoxal chaos personnel. La création semble goûter à l’upside-down : à l’encre, c’est le premier plan qui s’installe d’abord sur le carton, et l’arrière se gagne à mesure que l’immédiat s’est installé. Et dans cette nouvelle façon de se représenter l’espace, d’accueillir l’image, la gymnastique créative devient précise, joue sur une lumière puissante, sur le sens de l’horizon. Il est aussi question de rigueur, l’exercice, dans l’usage de l’encre de chine. Sur le buvard blanc, l’erreur ne peut être tolérée, et le geste doit être dans le temps : ni exacerbé, ni trop peu expressif.
Un perpétuel voyage initiatique
Aujourd’hui, il croque les reliefs de l’intelligence industrielle et artisanale humaine. François Moll a fait son compagnonnage, son tour de l’île des belles usines et des façades, en pérégrination de temps, entre les bâtisses créoles de Balata, de la Trace, de Clairière et les usinesmonstres de l’île, avaleuses de canne et d’histoire. Il s’éprend sincèrement de ces reflets de société, machineries, bâtisses austères ou ouvertes aux vents et dessine la Martinique urbaine, industrieuse, et son profil. Parfois son bouillonnement de l’esprit semble éructer d’un vapeur qu’il détaille, d’une cheminée où le distillat, d’un chai ou la part des anges, d’une habitation coloniale ou la quiétude sont les multiples représentations de la même folie-douce qui ne cesse de l’animer.
La troisième étape, elle est là, désormais, ouverte à tout. Il semble temps de se séparer du travail patrimonial, d’accepter de repasser à la couleur, d’investir un tout autre domaine, plus fou, dominé par la teinte, à explorer, à maitriser. Et puis, comme un extrait de pensée, l’aube de cette nouvelle étape pourra se marquer d’un livre, sous forme de cabinet de curiosité, qui rendrait compte d’une vie entière de d’instinct, d’épopée et surtout, de création.
Retrouvez les oeuvres de François Moll du 2 octobre à fin janvier à la Rhumerie, bd St-Germain à Paris
Texte : Corinne Daunar – Photos : © DR