La silhouette est familière, domine les flancs de la Pelée rendormie depuis bientôt un siècle et promet des merveilles de rhum : le château de l’habitation Depaz porte en racines les stigmates d’une histoire longue et rougeoyante. Ici, comme souvent, les destinées personnelles se mêlent aux grands mouvements du temps, de ceux qui font société.
De la vie d’une habitation coloniale
L’histoire du domaine en fait un pionnier : dans le premier siècle d’existence de la toute jeune colonie française (1651), c’est Du Parquet lui-même qui fonde alors l’habitation la Montagne, bien loin encore des vicissitudes de la future habitation Depaz. Elle renseigne sur les habitus agricoles d’époque : indigo et café en deviennent la moelle initiale ; et elle subit les épreuves des propriétés de son temps, portée d’activités en exploitants, d’horizons pluvieux en destinées heureuses. Sous la houlette de la puissante famille Pécoul, hauts dignitaires de la canne, elle entame au mitan du XIXe siècle, sa reconversion sucrière. Et pourtant, en 1902, il faudra peu de temps à la roche volcanique pour avaler ces quelques 3 siècles d’une histoire d’agriculture coloniale. La destinée de la famille Depaz, elle, s’écrivait sur d’autres terres. À Périnelle, cette ancienne et fameuse demeure Jésuite, se découvre l’enfance de Victor, à la fin du XIXe siècle, le fondateur de la distillerie en devenir et la vie d’une famille nombreuse, sous le patronage de son père géreur d’habitation. Le fils s’y forge alors la mémoire d’une enfance tendre, qu’il emportera dans ses études d’outre-mer en terres bordelaises. C’est une fatalité identique, celle de l’éruption de la Pelée, qui doit en conclure brutalement le cours.
De la fatalité de la destinée : Victor Depaz, l’homme (re)fondateur
De retour en Martinique, le Canada en horizon, Victor Depaz découvre, plusieurs années plus loin, l’ampleur de la tragédie, lui devenu orphelin et sans biens. Il décide finalement de s’investir, après apprentissage dans les plus grandes usines de l’île, dans la reconstruction cathartique d’un domaine familial. C’est sur les terres de l’habitation La Montagne que le projet prend forme. Se dresse bientôt la toute moderne et ingénieuse distillerie, qu’un réseau hydraulique remarquable alimente alors d’une énergie inépuisable : l’eau. Et tandis que le domaine s’est regonflé de vapeur et de part des anges, le joyau de la couronne, la maison d’habitation, établit fort à propos (l’on murmure la symbolique échéance d’un 8 mai des années 1920’) la renaissance de la dynastie Depaz. L’objectif avoué : faire reparaitre, dans l’épaisseur du moment, la splendeur du temps passé. On l’instruit bien vivement château, tant la majesté et les volumes fondent l’apparat et l’élégance. L’anecdote rappellera le poids des chemins mémoriels : c’est au souvenir d’enfance que se dessine le plan en fer à cheval de l’habitation, sur le modèle magnifié de la demeure Périnelle. Le style néo-classique est revisité dans l’usage mêlé et novateur de la pierre et du béton, futur maître-matériau. La bâtisse, sise sur deux niveaux équivalents, se cintre de balconnets forgés et s’ouvre sur des volées d’ouvertures immenses. Deux ailes magistrales distribuent les pièces à vivre plus intimistes, que l’on découvre encore. Un léger siècle plus tard, elles s’habillent de leur mobilier d’époque, où l’acajou mordant et le courbaril de cendre tranchent avec la fraicheur, parfois austère, de la pierre. S’y dévoilent encore le fumoir, le bureau et d’autres salons que le temps a reposés dans leurs formes originelles.
D’une histoire de rhum durable
Mais la destinée cette somptueuse habitation ne peut s’entendre sans son intime pendant, l’histoire d’une distillerie précieuse et délicate. Dans la sérénité retrouvée du domaine, la production d’un rhum en élégance et caractère a elle-même sublimé son siècle de colonnes et de rouages. Sa marque de fabrique se lit aussi à la pratique consciente et l’industrie durable : ses eaux sont traitées, sa canne s’épanouit sous le doux patronage de la Pelée rassérénée. La Roxelane, mythique, coule aussi en ces terres, qu’elle abreuve d’énergie et de la matière fondamentale : l’eau des veines du rhum Depaz.
Texte et photos : © Corinne Daunar