Au-devant des premiers champs du bourg de Sainte-Marie, s’étend un musée vivant du rhum : les installations tonnantes de la Distillerie Saint-James, l’un des spiritueux les plus connus de la Martinique. Sur une terre de culture riche, se rencontrent la Martinique coloniale industrielle, et la savante mémoire d’une économie unique. Plongée dans la double histoire du label Saint-James et du rhum agricole à la Martinique.
La vie de la distillerie Saint-James est, à quelque vicissitude près, toute représentative de l’histoire industrieuse et sociale de la Martinique. Une première destinée religieuse, concentration de terre et d’infrastructure, passage de familles d’entrepreneurs en groupes d’industries, souffrante des mouvements de la terre, l’usine n’a, vraisemblablement, jamais souhaité dévier de l’histoire franche de son île.
Une distillerie à la vie longue
Aujourd’hui, elle alimente même, en un clin d’oeil malicieux à ce passé bondissant, c’est au creux de l’imposante bâtisse coloniale, dominant un jardin fin, que se referme le secret de peu de siècles : l’historiographie du rhum, riche d’une foisonnante collection d’appareillages, de cuves et autres cuivres ronflants de vapeur. Dans un style colonial imperturbable, l’habitation qui accueille le Musée du rhum, entraine dans l’histoire du spiritueux, de la Guildive à l’AOC, se dresse sur deux étages, cintrée d’une terrasse ouverte aux vents et ciselée de frises coloniales. Ce double niveau est supporté par des colonnades fines et des vérandas larges, dont le faîte, de tradition, supporte une large toiture de tuiles. Vraisemblablement bâtie au tournant des années 1870, la bâtisse devient le centre nerveux de l’usine centrale de Sainte-Marie. Depuis peu, la Maison de la Distillation vient compléter cette muséographie : installée dans les épaisses écuries en maçonnerie de l’habitation, elle immerge le visiteur dans un univers industrieux et élégant, une vision toute mécanique de la production du distillat : colonnes métalliques, emportements de tuyauteries et de robinets, l’espace abrite même certains des alambics utilisés par la distillerie depuis son origine. Climax de la visite : l’exceptionnelle cave, collection impétueuse des meilleurs millésimes de Saint-James, réunis depuis 1885.
Les premières exploitations
Et pour comprendre la destinée si emblématique de la distillerie, il est nécessaire de replonger dans son histoire, là encore double ! L’aventure commence sur l’autre côte, au calme de la Caraïbe et des contreforts de la Pelée. Dès le XVIIe siècle, l’hôpital de Saint-Pierre, administré par les frères de la Charité, s’intéresse à la production de tafia. En 1765, les premiers jalons industriels sont posés, et leur rhum, désormais produit, sous la houlette du père chimiste Lefébure, dans ce qui doit devenir, selon toutes vraisemblances, la distillerie Saint-James. Ce sont les prémices, déjà, d’une stratégie commerciale et marketing qui s’ébauchent, des années avant l’heure. La bouteille carrée devient argument de vente, le nom anglicisant à propos pour séduire les colonies britanniques. S’en suit une vie intense : nationalisation post-révolution, exploitation britannique, rachat privé, représentation de la marque à l’international, développement de la bouteille carrée, difficultés financière, démembrement, drame de la Pelée, déconcentration et expansion… une épopée grecque façonne la vie de l’habitation. Dans le même temps, l’autre destin se joue à Sainte-Marie, en pleine Martinique industrieuse et sucrière. En 1872, sous l’impulsion de l’homme d’affaire Emile Bougenot, fondateur du tissu local des usine centrales à vapeur, est créée l’unité centrale du bourg agricole, exploitée à partir de 1900 par la famille Huyghues-Despointes.
Les orientations d’un rhum-monde
Au milieu du XXe siècle, les histoires se rejoignent : le Comte de Vibraye qcuiert de la société Saint-James, devenue anonyme, ainsi que l’usine de Sainte-Marie, qui entame sa reconversion rhumière. Le dernier acte se joue récemment : dès 1973, le rhum Saint-James s’ouvre au monde, associé au giron des grands spiritueux Picon, puis Cointreau, qui installe définitivement le label à Sainte-Marie. Et depuis son fief samaritain, Aujourd’hui adossé au second groupe français de spiritueux, La Martiniquaise, le rhum Saint-James est projeté dans le monde entier. Fort d’une immense production, fier de sa projection internationale, épanoui dans son Appellation d’Origine Contrôlée et sa diffusion d’une histoire unique, celle du rhum, n’en n’a pas fini d’être un illustre représentant de ce savoir- faire Martinique.
Texte et photos : © Corinne Daunar