À la Martinique, la question de la psychiatrie est indubitablement liée aux espaces de son traitement, autant qu’à sa représentation. La folie est pendant longtemps contingentée, dans l’imaginaire de l’île, aux afflictions divines, mauvais sorts administrés et châtiments surnaturels.
L’hôpital Maurice Despinoy, que la culture populaire célèbre toujours comme Colson, est sans doute le marqueur le plus vibrant de la rencontre de ces deux réalités.
L’histoire tourmentée de la psychiatrie martiniquaise
Aux prémices de la discipline sur l’île s’érigent la maison de santé coloniale ouverte en 1839 et son directeur emblématique Etienne Rufz de Lavisson. Après des décennies d’incuries, les pensées, pour l’époque, sont novatrices, mais subissent un brutal coup d’arrêt avec l’éruption de la Montagne Pelée, en 1902. Le centre n’est pas reconstruit, et tout un pan de médecine moderne est laissé en déshérence.
Les malades eux, doivent à nouveau affronter les mesures terribles de l’annexe de la prison de Fort-de-France, saturée, insalubre. Les locaux, délabrés, ne permettent aucune prise en charge médicale des affections psychiques. Les infirmiers sont des gardes, les quelques médecins ne goûtent que peu à la psychiatrie. Il faudra compter près d’un demi-siècle d’errance avant d’obtenir à la Martinique la création d’un poste de psychiatre départemental et la mise en place d’une nouvelle structure dédiée.
Intime de Franz Fanon, formé aux approches de l’école de Saint-Alban, c’est le Docteur Maurice Despinoy qui déploie en Martinique la psychiatrie institutionnelle aux fondements hygiénistes. Dans une approche où l’environnement fait beaucoup, il est nécessaire de développer cet hôpital dans un espace vaste, sain et reposant.
Une structure complexe et inadaptée
Du nom de la famille propriétaire de terrains sur la localité, la nouvelle institution hospitalière psychiatrique de Colson pose ses bagages à l’aérium, un sanatorium vétuste pour officiers de la Marine. Les bâtiments d’accueil sont déjà en mauvaise condition lorsqu’ils sont affectés à la création de l’hôpital psychiatrique. Son implantation est somme toute très particulière, lovée en altitude et au coeur de la montagne et de la forêt humide.
L’emplacement, qui semble décidé par défaut, ne manque pas d’être soumis à un climat difficile et un isolement problématique. Au discours hygiéniste d’une atmosphère aux vertus vivifiantes, propre à accompagner les patients dans leur convalescence, s’oppose durement la réalité d’un enclavement total. Le bâti souffre largement de cette humidité importante, qu’aucune réparation ne règle durablement. La luxuriance de la forêt en fait un mur hybride, où son impraticabilité est autant crainte que sa sinistre réputation, à 14 kilomètres de Fort-de- France, Colson est isolé. Et pourtant, ce seront 20 premières années de sérieuses avancées médicales, autour d’une équipe aux compétences rares et à la conscience précieuse. Médecins, infirmiers et patients participent d’une approche innovante de la psychiatrie, qui tente de se départir d’un imaginaire populaire mystique et irrationnel quant à l’affliction. Le centre se gonfle, accueille au fur et à mesure des malades : de 9 hectares à son ouverture, il passe à près de 27 en 1966, permettant le soin à plus de 600 patients.
Malgré ces agrandissements, le bâti revient rapidement au centre des enjeux et préoccupations, où son mauvais vieillissement, attesté, confrontera également l’Etat à ses personnels de soins. La problématique supportera l’épreuve du temps, et pose aujourd’hui la communauté devant l’impraticable des infrastructures. Régulièrement convoqué, le déménagement des activités du désormais hôpital Maurice Despinoy vers le nouveau centre hospitalier de Mango Vulcin reste une actualité majeure pour ses usagers, bien qu’encore à concerter efficacement.
Textes : CORINNE DAUNAR
Photos : Brigitte Bertrand et Corinne Daunar