LES DEUX MÉTIERS DU MAÎTRE-CHARBON

par Maisons Créoles

La saga charbon, dans l’imaginaire antillais, peut se conter suivant deux épopées, peu communes, mais que la mémoire ardente ravive indifféremment ! C’est l’histoire, d’un côté, d’une tradition d’antan, d’un savoir-faire d’anciens, en creux de ruralité. C’est aussi, de l’autre, celle de femmes battantes, au coeur de l’urbain moderne.

Il y a d’abord le charbon de bois traditionnel : celui qui dans l’histoire coloniale de la Guadeloupe et de la Martinique tient une place discrète, quoiqu’infiniment puissante. Il est le combustible maître, celui qui régit l’existence des îles et de ses âmes, d’aussi loin que remonte leur odyssée moderne. Énergie de l’industrie, il est aussi le compagnon incontournable du foyer, où il noircit des fonds de jatte, purifie l’eau ; réchauffe la semelle de fonte des fers à repasser et s’institue, comme comburant vital.

D’une part donc, l’énergie brulante de la tradition

En pratique, il traverse les siècles dans une incandescence permanente. De sa fabrication dans les habitations, à sa production dans les Antilles du milieu XXe, agricole des plaines du sud, la technique évolue légèrement, mais le principe fondamental reste inchangé : opérer un brulage partiel du bois, pour le transformer en maître charbon.

La méthode, pour créer un four à charbon, est de disposer dans des fosses rectangulaires creusées à même le sol, un treillis de bois à consumer.

Ceint de troncs de bananiers, rendu hermétique par l’insertion de petits morceaux de bois dans les interstices, l’ensemble est recouvert d’une épaisse couche d’herbe fraiche et de terre. Tiré deux jours après l’allumage, la fournaise doit fournir, après lente calcination, un charbon noir intense, claquant et résistant. Jusqu’à la première moitié du XXe siècle, où le gaz et l’électricité ne dominent encore aucune cuisine, la pratique est répandue, notamment dans les régions côtières du sud, où l’exploitation d’arbres épineux (à l’instar du campêche) constitue un complément de revenu bien apprécié, quoique lourd et chronophage, pour qui en maîtrise les subtilités. Aujourd’hui, la fabrication traditionnelle survit, dans une exaltation de souvenir et de savoir hérité.

De l’autre, les charbonnières laborieuses

Et puis il y a le charbon moderne, celui, industriel, du siècle nouveau, laborieux, tout en fumée et en fracas. Ce coke dédié aux machineries de vapeur, attendu en quantité, est dégurgité par des houillers obèses. L’usage est pressant, les volumes titanesques, l’appétit monstrueux : le charbon vient se déverser dans les goitres de la flotte transatlantique, des bacs de communication qui grouillent autour de l’île ou parfois des usines centrales.

Aux avant-postes de cette révolution du tout vapeur se tient la Compagnie Générale Transatlantique., qui aborde l’île pour la première fois en 1862, à bord du Louisiane. Au début du XXe siècle, c’est elle qui notamment la rade de Fort-de- France, forte de son monopole : elle érige ses propres infrastructures, fonde un port moderne et fait de la ville sa tête de pont aux Antilles. Sur ces quais grouillants s’active une armée laborieuse de petites autonomies et énergies, qui pour proposer ses services de blanchisserie, qui pour le déchargement des soutes profondes.

Apparaissent aussi, les fières charbonnières, assignées au traitement, dans un sens ou dans l’autre, des tonnes noires de charbon. Travailleuses de l’ombre et de la poussière, elles forment des colonnes brinquebalantes de paniers de matière, funambules précaires sur les planches portées à l’assaut de la cale des navires.

La sécheresse du métier, la rudesse des conditions, la morsure du soleil burine des générations de hères altières. Jusqu’au milieu des années 1940-50, elles sont encore plus de 500, cette majorité de femmes, à s’encombrer d’une charge pesante de coke. Elles sont les Antilles modernes, industrieuses, tournées vers le commerce-monde et les promesses d’ailleurs. Elles sont aussi un legs fondateur de solidarité, d’entêtement, de mutualisme et de revendications puissantes.

Texte : Corinne Daunar – Crédit photo Fondation Clément collec L.Hayot
Parco Nazionale del Gargano

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