À l’inventaire des vieux métiers, certains enchantent facilement les photos anciennes, les tirages sépia et les tableaux de vie. D’autres portent aussi en eux la trace de la Martinique laborieuse, rurale ou citadine, où la rigueur du récit historique se perd dans la mémoire populaire et pratique. Revue d’état de la profession de blanchisseuse.
D’abord mis en oeuvre dans les populations esclaves, sur les habitations, la pratique s’insère rapidement dans la liste de ces petits métiers des affranchis. Pour ces femmes libres de couleur, elle est une piste d’émancipation et de survie, au service d’une clientèle souvent urbaine et aisée.
Un métier de femme poto-mitan
Présentes dès les premiers temps de la colonisation, l’imaginaire populaire rattache volontiers les lavandières aux grandes cites de la Martinique comme de la Guadeloupe. Elles sont tout aussi présentes aux campagnes, où de nombreuses rivières recensent des bassins de lessive. Pour équipement, les blanchisseuses portent d’immenses paniers ou de larges plateaux, et s’arment d’un carnet de fidèles. Le métier n’est pas exempt de dangers, notamment face aux torrents imprévisibles qui surprennent travailleuses et cargaison de vêtements à toute heure du jour. Il semble, dans ses processus, figé, là où la méthode artisanale s’attache, longtemps, à la simple et unique ressource des cours d’eau.
Au creux d’une journée de blanchisseuse
De fait, au bord de la rivière, le cérémonial se répète à longueur de semaine, sur des gestes mesurés et des techniques rodées. L’on frappe, l’on frotte, l’on « fesse » le linge mouillé contre les flancs de rocher. Le claquement répercute et accompagne les conversations animées et les premiers contacts au savon de Marseille. L’étape suivante, incontournable, alimente le folklore et l’image : c’est l’exposition au soleil, le premier lablanie, où les trousseaux sont étendues sur les pierres pour un temps de blanchissage. Plus loin dans la période, les lavandières ont même accès à la location de lessiveuses toutes proches pour parachever le nettoyage.Un traitement au bleu d’indigo affermit le blanchiment, avant l’amidonnage à base de moussache et le repassage, autour des fers d’époque les Karo, et de l’intense chaleur de leurs foyers. Les corps sont exposés, et Lafcadio Hearn chronique, au mitan du XIXe, l’un des métiers les plus usants de la colonie. Il en dresse aussi un tableau sensuel et convenu, mais informatif. Dans ce métier de physique, les robes sont relevées au-dessus des genoux, les jambes au contact prolongé de l’eau glaçante des monts. Souvent, les manches du bustier sont nouées au torse, pour en libérer les bras dans la pratique. Le soleil, mordant, est fui sous de larges bakouas.
L’héritage populaire
À partir de la fin du XIXe, les lavandières proposent aussi leurs services aux abords des quartiers de la Compagnie Générale Transatlantique, à destination des passagers et des équipages des cargos en escale, dans un paysage désormais urbain et industrieux. La pratique s’estompe à mesure que le XXe siècle s’affirme. Les dernières habitudes, où la corvée du linge est intériorisée à la famille, ramènent aux prémices des années 1960. Cette pratique, parallèle, se différencie cependant de l’activité professionnelle de la blanchisseuse. La modernisation, les premières machines au gaz, puis à l’électricité, la démocratisation du confort de la société de consommation font perdre à mesure le sens de ce métier. Aujourd’hui, ce sont des laveries industrielles qui les remplacent, tout au moins dans le mouvement du quotidien. Reste encore l’épaisseur de l’imaginaire, pour projeter, à nouveau dans le lit des rivières, ces myriades blanches offertes au soleil et aux badauds.
© Crédit photos Fondation Clément / Texte : © Corinne Daunar