Il s’enroule autour de la Trace et dévale joyeusement la colline sous-elle, vivement protégée de hautes futées vibrantes. Lové au creux du Nord, nourri d’une terre généreuse et sauvage, Le Jardin de Balata est un joyau discret et mystérieux, qui joue d’une multitude de facettes pour perdre la raison et laisser le voyage s’entamer.
L’histoire d’une passion
Ici, dans les contreforts du Nord, la propriété familiale, acquise dans l’après-guerre, aura vécu au rythme des saisons et de la vie de ses occupants, avant de se refermer une décennie durant, patientant tranquillement jusqu’en 1982. Elle retrouve alors fortuitement les mains expertes de Jean-Philippe Thoze, qui au détour de la friche s’éprend du lieu et y imagine un somptueux jardin.
Dans ces creux à l’abandon, l’horticulteur magicien aura déposé des années durant ses trouvailles végétales d’un tour du monde jamais terminé. Désormais, cuivré du vrombissement des colibris, c’est un jardin-monde qu’il entend créer, à l’image de ses aventures horticoles, découvertes précieuses et anecdotes de voyages. Plus de 3000 représentants de leurs espèces se partagent l’enroulement de collines du Jardin de Balata, en constante révolution.
Un immense jardin spectacle
Les parterres psychédéliques de broméliacées flottantes emportent vivement dans une effusion cramoisie et parme. L’allée des palmiers vagabonds serpente astucieusement entre les bouquets aux milles formes, patauds, hérissés ou de roc-lisse, tous s’ébrouent sur la boursouflure du jardin, vers le ponant. Ici, un Ficus étrangleur avale goulument à force de patience un immémoré support noueux. Plus loin, l’austère fromager gronde une ombre mystique par-dessus ses racines profondes et proteste contre l’arrachage de ses ergots au pouvoir légendaire.
Perché sur son trône fertile, le bakoua ou pandanus s’étoffe en vastes gerbes et donne à penser la malice des aïeux, prompts à le tresser fermement en couvre-chefs intemporels. Ici, la bambouseraie entraine au fil du monde et des épopées de son créateur, repiquant ensemble les variétés soeurs de terres d’Asie ou d’Amériques. Sur les rangs des fleurs, un encombrement subtil et généreux de centaines d’essences imbriquées gonfle les parterres et accapare l’attention. L’universel s’étend là dans sa version tropicale, où les anthuriums rutilants tirent des plans avec les roses de porcelaine, les hibiscus et autres balisiers.
Le retournement des sens
La magie du jardin de Balata, c’est sans doute de se jouer de la logique et des sens, d’imposer une revisite des perceptions et des repères. Dans cet écrin, la lumière elle-même devient malicieuse et éclate en une infinité de teintes. Selon l’heure du jour, et s’extrait des ramées en une pluie dorée, sinon une lueur verdoyante, une vibration bleutée. Partout les rebonds du morne se hérissent de jetées de bois, de points de vue vertigineux et somptueux. Et les bonds sont nombreux, et inattendus, portant le pas léger d’un monde à l’autre, des allées de palmiers aux larges paquets de bambous. En leur coeur, c’est la verticalité qui se fait maitresse, dressant à dessein des ordres géométriques d’angles, de rectitudes et de noeuds végétaux savants. Perdant l’oeil dans cette profusion logique.
Le parcours suspendu donne à vagabonder dans les cimes rarement tutoyées. Agrippés au somptueux des mahoganys mastodontes, Il est un pont aérien entre deux univers et brouille les codes, offre à voir différemment. Loin devant, les allées chutent et entrainent après elles, là où le regard s’accroche, subjugué, à l’illimité de la mer. Le voyage s’élance alors, comme happé par ce vide lumineux, et dévale les coteaux au cordeau : la voie s’ouvre vers le vide et plonge majestueusement dans un étourdissant jeu de perspective et de proportions, déroulant sans répit dans sa course en lacets.
Textes : CORINNE DAUNAR
© Jardin de Balata